ce mot rêveur est aujourd’hui vendeur, petit retour sur le concept d’Asymétrie dans le monde du jeu de société
Cet article n’a pas vocation à être exhaustif, il s’agit de développer le concept et de l’interroger. C’est une réflexion personnelle qui, je l’espère, vous permettra de vous interroger vous aussi. Bonne lecture !
Un vieux concept qui n’avait pas de nom
Si l’Asymétrie est aujourd’hui une mécanique importante de la décennie, elle existe depuis bien plus longtemps, elle était tout simplement ignorée en tant que mécanique. Prenons ma Madelaine de Proust, HeroQuest. Dans ce jeu d’aventure, un joueur incarne le Maître du Donjon, et chaque autre joueur choisit son personnage avec des caractéristiques et pouvoirs différents. Inspiré des Jeux de Rôles, les Dungeon Crawler ont toujours exploité le concept d’asymétrie : asymétrie de position (MJ/ Joueurs), mais aussi asymétrie de gameplay (entre personnages). Bien entendu, dans un cas comme HeroQuest, celle-ci n’est pas flagrante. Des Jeux de Cartes Évolutifs comme Android Netrunner ont plus tard prouvé que l’asymétrie avait le potentiel pour devenir une force spectaculaire.

Comment définir l’asymétrie
l’Asymétrie désigne une situation dans laquelle les joueurs possèdent des objectifs de jeu, conditions de victoire et/ou manière de jouer différentes. l’Asymétrie peut être intégrée à divers degrés dans un jeu et s’ériger en concept majeur ou mineur.
Voilà la définition que j’utilise pour traiter la question. À ce stade vous vous rendez compte qu’une belle quantité de jeux peuvent répondre à cette proposition :
- les Dungeon Crawler évoqués précédemment,
- les jeux avec des identités secrètes, chacun ayant un personnage et des objectifs variés : Loups-Garous de Thiercelieux, Shadow Hunters…
- certains jeux deux joueurs, comme Mr Jack, Android Netrunner, Goryo…
- des jeux à communication limitée, tel que Mysterium, Obscurio, Detective Club…

Pourquoi l’asymétrie c’est à la mode ?
France, 2018. Un jeu nommé Root fait sa sortie en grande pompe. Le titre est connu sur la scène internationale, et il a rapidement conquis les joueurs anglophones (34e place sur le site Board Game Geek, en plein dans le top 100). Il est présenté comme révolutionnaire et tout son concept repose autour d’une pièce centrale : l’asymétrie !

l’asymétrie apporte une profondeur mécanique au jeu
Si vous regardez Root de loin, vous voyez un jeu de conquête assez classique (mais très joli) où les joueurs se disputent des territoires. Le génie dans cette histoire, c’est de donner à chaque joueur une faction précise avec des règles, des conditions de victoire et une manière de jouer totalement différente des autres. Le Vagabond se joue comme un RPG alors que la Marquise de Chat relève davantage du jeu de gestion. En modulant les différents aspects du jeu, Root a démontré qu’il est possible de pousser le Game Design toujours plus loin. Sans parler de cette prouesse, des jeux plus simples savent exploiter l’asymétrie de position pour renforcer l’aspect stratégique du jeu. Dans Mr Jack , Not Alone ou The Resistance, c’est bien la gymnastique intellectuelle entre les joueurs (le mind game) qui est à l’honneur. Esprit contre esprit, les joueurs testent leurs connaissances des uns et des autres. Et le duel Sherlock, Moriarty, ça marche !

l’asymétrie met en valeur l’individu
L’asymétrie vient naturellement renforcer l’individu dans son jeu et ce même dans les jeux coopératifs. La posture du Fantôme (Mysterium) ou du Grimoire (Obscurio) sont des positions clés indispensables à la réussite de l’équipe. Dans Alone le joueur Survivant doit déjouer les pièges de ses adversaires. Et dans Root, c’est votre maîtrise de votre faction qui vous mène ou non vers la victoire. Le sentiment que chacun joue à un jeu différent est particulièrement jouissif. Votre victoire n’en sera que plus valorisante : vous aurez compris la stratégie à employer, comment vaincre vos adversaires…La prouesse individuelle n’en est que plus éclatante, encore plus quand vous êtes seul contre tous !

l’asymétrie renforce l’envie de rejouer
L’asymétrie est intimement liée à un autre concept majeur de la décennie : la rejouabilité. Ce mot, sur toutes les lèvres des joueurs est devenu d’une importance capitale dans la décision d’achat. En donnant une géométrie variable au jeu, en variant les conditions de victoire ou en modulant les rôles de chacun, les joueurs ont tout simplement envie d’y revenir, de tenter une nouvelle partie. Découvrir l’ensemble du jeu devient une quête que l’on déguste tel un bon vin.
À l’heure où le marché du jeu est ultra-compétitif (coucou les +1000 sorties FR par an), il faut réussir à capter l’attention des joueurs et leur transmettre cette envie. Un jeu qui d’entrée de jeu semble manquer de rejouabilité pourra vite être considéré comme fade. À contrario un titre comme Villainous suscite l’intérêt d’entrée de jeu : chacun va jouer un méchant de Disney et devra gagna à sa manière. On renforce au final la curiosité et le plaisir de découverte. Si en plus vous jouez sur la nostalgie, le succès est immédiat (on parle de Disney, tout de même).

l’asymétrie est à contre courant des jeux traditionnels
Vous vous souvenez de ces éternelles et épuisantes parties de Mille Bornes ? Moi aussi ! Et en grandissant, il y a bien une chose que j’attends des jeux de société modernes : d’en finir avec la routine et le sentiment de tourner en rond. L’asymétrie casse cette dynamique cyclique et l’ennui que peut procurer certaines mécaniques redondantes. Mais cet argument est probablement valable de manière générale (n’essayez pas de jouer au Monopoly avec moi, plus jamais ça).

Clap de fin : la symétrie c’est pourri ?
Si l’asymétrie est si cool en apparence, elle a bien entendu ses défauts. Le premier est le risque de se perdre, de vouloir trop en faire. Root est génial, mais Root est aussi exigeant, il ne se met pas entre toutes les mains, il a une accessibilité limitée. La question de l’équilibrage est aussi un point crucial. Ajoutez un point de vie à Daniel dans Shadow Hunters et tout le jeu change. Pour marcher, les auteurs doivent s’improviser alchimistes, et doser la formule goutte après goutte. Faire le pari de l’asymétrie, c’est aussi risquer des écueils, comme on a pu le voir avec Tapestry.

Tous les jeux n’ont pas besoin d’asymétrie. Les échecs ont prouvé qu’ils restent un jeu de société prisé. La réussite des gammes d’Escape Game (Unlock! et Exit en premiers) va d’ailleurs à contre-courant total de ce mouvement : une situation coopérative où tous les joueurs sont à égalité et des scénarios one shot que l’on ne vivra qu’une seule fois. Et pourtant ils sont géniaux !
Alors l’asymétrie oui, mais la symétrie aussi !
excellent article bravo
J'aimeJ'aime
Salut d’un confrère de WordPress qui parle aussi de jeux de société ! Pas mal cet article. Je dirais juste que Root est sorti en France en 2019, du coup il était encore confidentiel en 2018 en dehors des joueurs les plus assidus. Sinon j’aurais mis une majuscule à chacun des sous-titres en ce qui me concerne mais c’est du chipotage ! Autrement je suis globalement d’accord avec ton analyse concernant les raisons du succès de l’asymétrie, en particulier la rejouabilité que cela apporte.
J'aimeJ'aime
Les wargameurs er wargameuses ne peuvent qu’approuver cet article 🙂 C’est en effet une des mécaniques importante à mes yeux, même si malheureusement, je sais qu’en proposant un jeu asymétrique, je dois préciser qu’il n’est pas pour tout le monde, peu importe son niveau de complexité.
J'aimeJ'aime